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L'ARBRE A CAME
Récit, par Ivan
Le Rouquemoute avait décidé de se mettre au vert. Au bar de l’Avenir, ça commençait à sérieusement sentir le roussi et les dernières semaines n’avaient pas été de tout repos, rapport au fâcheux règlement de comptes de Saint Ouen, qui avait laissé sur le carreau la Balafre et le Tatoué.
L'ambiance étant devenue pesante en Seine et Oise, il fut donc décidé que l’on prendrait quelques vacances avant l’opération. Le Rouquemoute aimait les endroits tranquilles: pas question de Riviera pour l’instant, il avait choisi une petite auberge bien proprette dans la Marne, au beau milieu d’un bled à nom de peintre, Sézanne. Question ambiance, ça se rapprochait plus des plaines de Poméranie que de la Grande Bleue, mais il valait mieux se faire discret. |
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Le Rouquemoute passa au box récupérer la DS. Pierrot la Saccagne et Jeannot l’Aspine étaient déjà là. Ils avaient posé leur guimbarde un peu plus loin.
La Saccagne avait gagné son blaze dans le Mitan, en piquant les mecs qui le dérangeaient dans ses affaires. Y en a qui travaillent au couteau corse, à la dague, lui son truc, c’était le tournevis. C’était pas si con : c’est anodin, un tournevis. Quand on est bourru par des poulets, ça vaut mieux d’être pris avec ça sur soi, qu’avec un 45. Bref, La Saccagne, c’était un teigneux, et quand il était de mauvais poil, valait mieux pas trop le chatouiller.
L’Aspine, c’était un autre genre : sa marotte à lui, c’étaient les talbins. Fallait toujours qu’il en ait plein les fouilles. On savait pas trop d’où il les sortait, si ce n’est des gagneuses qui tapinaient pour lui un peu partout dans Pandruche. Il y avait aussi qu’il était passé à ses débuts aux Assiettes, pour une histoire de fausse mornifle. Dix ans de ballon, ça vous marque une carrière. Alors aujourd’hui, il aimait pas manquer.
La fine équipe était au complet, le Rouquin enquilla la première, et s’engagea sur la route. |
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C’était pas un temps à mettre un Pandore dehors (ça, ça les faisait pas trop pleurer) : une vraie purée de pois, et puis il meulait sec. Le Rouquin, ça semblait pas le perturber. La DS filait un bon 100 à l’heure. L’Aspine avait posé sa carcasse à l’arrière, et regardait le paysage en râlant.
"Dis donc Rouquemoute, c’est pas folichon ton coin. Faudra pas qu’on prenne racine ici."
"On n’est pas venus faire du tourisme", lui répliqua sèchement le Rouquin
La Saccagne semblait indifférent. Ils étaient là pour préparer un gros coup, histoire de s’en prendre un max. Le reste, il s’en foutait.
Devant la déprime du paysage, l'Aspine avait fini par proposer de tester la marchandise, et il se voyait maintenant à Copacabana. |
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La Saccagne s'était ensuite laissé tenter lui aussi mais il faisait le "Bad Trip", comme on disait à London, et il voyait des créatures douteuses se succéder dans ses rêveries. |
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Le Rouquin était pressé d’arriver, il sentait les copains mal en point : il appuya encore un peu sur le champignon. Le compteur indiquait 120. La voiture passait nickel, et pourtant, la route était mauvaise. C’était une sacrée bagnole quand même. Avant, il roulait en américaines. Pour l’épate, c’était correct, mais ça tenait pas le parquet. Plus d’une fois il s’était fait peur, avec les flics aux fesses. Il se disait qu’avec la DS, en cas de pépin, il n’aurait aucun mal à les semer.
Le Rouquin fit juste une pause pour faire pleurer le colosse. Parfois ça le surprenait d'être un homme comme les autres. |
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La DS redémarra en douceur. On n’était plus qu’à quelques kilomètres. |
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La voiture ralentit en arrivant dans Sézanne. Le Rouquin chercha l’hôtel qu’il avait choisi quelques semaines auparavant. |
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La DS s’arrêta devant l’auberge, qui avait plutôt bonne allure. La perspective de tortorer mit l’Aspine de meilleure humeur encore, et évacua un peu les chimères de la Saccagne. |
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Le Rouquin jetait régulièrement un œil à travers la vitre sur la voiture. Avec ce qu’il y avait dedans… |
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Les journées à l’Auberge du Cheval blanc étaient monotones. La veille de l’affaire, les trois arcans étaient nerveux. Enfin, l’heure du rendez-vous arriva. Le Rouquin avait garé la DS le long du trottoir. Tout était prêt. La Saccagne et L’Aspine s’étaient enfouraillés, au cas où …L’atmosphère n’était pas à la rigolade. |
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Le Rouquin avait eu l’idée de planquer la schnouf dans le ciel de toit. Question discrétion y avait quand même à redire. |
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La transaction devait se faire dans un ancien atelier ferroviaire. Le Rouquin avait fini par lâcher le nom de son acheteur à ses complices : Marcel le Stéphanois. Un dangereux, fiché au grand banditisme, et pas toujours réglo en affaires. |
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Le Stéphanois était en retard, ce qui était assez mal venu dans ce genre de coup.
"Y va nous planter ton mec", maugréa L’Aspine
"Le Stéphanois, je le connais. C’est un foireux, mais quand y a de l’oseille à ramasser, il se bouge", rétorqua froidement le Rouquemoute.
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Comme pour lui donner raison, le ronronnement caractéristique d’un V8 se fit entendre. La Pontiac du Stéphanois apparut à l’autre bout de l’esplanade. Trois hommes en sortirent. Après quelques échanges faussement chaleureux, on en vint au bizness.
C’était pas la grande confiance. Jeannot gardait les pognes dans les glaudes de son lardeusse, prêt à sortir son calibre (un gros cruciforme), pendant que le Stéphanois examinait la came. Pierrot s’était planqué dans un des ateliers, prêt à défourailler si ça tournait mal : au Beretta non plus il était pas manchot. |
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Le Stéphanois était venu avec son chimiste, pour vérifier la qualité de la marchandise.
"Rien à dire, Rouquemoute, c’est de la bonne", apprécia Le Stéphanois
"J’ai jamais refourgué de la daube à personne", laissa tomber presque sentencieusement le Rouquin. "Maintenant, t’as plus qu’à carmer".
Le troisième lascar se dirigea vers la Pontiac. L’ambiance était électrique, le Rouquin s’attendait à un coup fourré. Il eut du mal à dissimuler son soulagement lorsqu’il vit revenir l’homme, une mallette à la main.
"Tu peux vérifier, y a le compte", balança Le Stéphanois
"J’ai confiance", baratina le Rouquin, pour se redonner une contenance.
Les hommes du Stéphanois chargèrent la came dans la Pontiac. On se serra les mains, tout était réglé. La Pontiac redémarra, et disparut dans le brouillard.
Le Rouquin fit le partage des fafiots, puis on reprit la route de Nangis, où ses complices avaient laissé leur tire. La Saccagne déposa L’Aspine à la gare : il était plus sûr de se séparer.
Le Rouquemoute avait décidé de ne pas repasser à Paris. Avec son interdiction de séjour qui courait toujours, cela revenait à aller se jeter dans la gueule du loup. Il avait eu au téléphone quelques jours auparavant Francis le Moko, de Marseille, pour le coup sur lequel ils devaient monter ensemble. Le Rouquin calcula qu’en tenant le 140, il pourrait siroter un Casa sur le Vieux Port en fin de soirée. |
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FIN. |
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