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 Carnets de route en montagne 1986-1988, par Laurent G
 Voici quelques courts extraits de mes cahiers de route des  années 80
que je partage, ici durant les hivers 86/87 et 87/88 avec nos DS. Il faut se
replacer dans le contexte de cette époque : celui concernant les
DS, que l’on trouvait encore assez nombreuses dans les casses, ou d’occasion à  petit
prix, ainsi que celui de la circulation nocturne sur les petites routes désertes
de montagne. Une ambiance certaine pour les passionnés que nous étions…
 *Grenoble, samedi 25 décembre 1986. Le temps est hivernal,
              le ciel se couvre en cette fin d’après-midi. Vers
              20h00 je prends ma DS 21 Pallas et me rend chez Bruno, le sol est
              encore sec mais quelques flocons commencent à voltiger.
              Dans le grand garage de ses parents, on se met sur sa DS 20 rouge
              massena, afin de remplacer je ne sais quelles tubulures hydrauliques,
              ainsi que l’inaccessible capteur de pression d’huile,
              qui fuit depuis quelque temps. Il est maintenant 23h00, je jette
              un œil dehors, il y a 10 à 12 cm de neige fine et
              froide qui recouvre tout, il neige toujours. Vers 3h00 du matin,
              notre intermède mécanique étant terminé,
              on tente une sortie avec sa DS 20. La ville est féérique
              avec une bonne vingtaine de cm de neige… Là où personne
              n’est passé, le plancher de la voiture, en suspension à hauteur
              normale, joue au chasse neige et laisse une belle trace au milieu
              de la route ! Les rues et avenues sont désertes, pas
              une auto ne circule, tout est blanc et parait immense. Plus de
              marquages au sol évidemment, on ne distingue quasiment plus
              les trottoirs, les voitures en stationnement ainsi qu’une
              partie du mobilier urbain en tenue de camouflage blanc deviennent
              invisibles. Et les grandes avenues rectilignes, devenues anormalement
              larges, se perdent au loin dans le coton blanc. Les illuminations
              de Noël qui clignotent se relaient de loin en loin tous les
              25 mètres, tel un balisage de piste. La DS 20 glisse dans
              la ouate dans un silence inhabituel et impressionnant. La ville
              fantôme est à nous… 
 *Mardi 6 janvier 1987. Il est 20h45, Pâo passe me prendre.
              Il est venu avec sa Dsuper beige albatros qu’il vient de
              faire équiper de roues cloutées à l’avant.
              Gros pavés, clous énormes, ce sont des pneus Finlandais !
              Je saute dans ma DS21 BVH qui possède de bons Michelin M+S
              sur les roues motrices, mais sans clous. A l’arrière
              ce sont des Xas en 165/15 pour tout le monde ! On monte tranquillement
              en direction de notre petite route forestière « du
              Pinet », peu ou pas déneigée, terrain
              de nos exploits hivernaux. Et en effet, la route est entièrement
              enneigée ce soir, un peu trop même, et l’on
              fera déjà quelques aller et retours uniquement pour  étaler
              et tasser cette neige poudreuse qui nous freine trop dans la montée.
              Les DS n’ont pas du tout tendance à aller tout droit
              avec nos montes pneumatiques, et c’est plutôt rassurant.
              Ca motrice même bien, et Pâo commence à prendre
              de la vitesse. On y va de bon cœur, surtout dans la descente,
              ou les voitures virevoltent, se mettant en travers avant chaque
              virage, s’appuyant assez souvent sur le mur de neige qui
              nous renvoie dans l’autre sens pour le virage suivant, c’est
              carrément enivrant… Je monte en passager dans la
              voiture de Pâo afin de tenir le chrono. Montée en
              4’08’’. En passager c’est nettement plus
              impressionnant qu’au volant, surtout à la descente sur
              cette route étroite ! Ce que ça va vite ! C’est
              de la danse. Il n’y a plus de lignes droites, mais c’est
              régulier, coulé, maitrisé… A mon tour
              d’être au volant, celui de ma DS21, Pâo sur le
              siège passager, au chrono. Incroyable mais à l’issue
              de la montée (quasiment 3km), le temps est également
              de 4’08’’ !! On refera plusieurs chronos à  quelques
              secondes près, aucune sortie de route, et retour un peu
              avant minuit. Mon plein suivant me permet de calculer une consommation
              légèrement supérieure  à 20 litres/100… Autres
              temps ! 
 
   *Jeudi 15 janvier 1987. Il a neigé toute la journée à  Grenoble,
              cela fait plus d’une semaine que les températures
              sont très négatives, les infos ne parlent que de
              cette météo. Il parait qu’à Marseille
              tout est bloqué ! Mitch a cassé une transmission
              sur sa DSpécial (mais comment a-t-il fait ??) et crevé le
              radiateur en tentant un remorquage ! Ce sera réparé dès
              le lendemain. Quant à moi, ayant passé la journée à Chamrousse,
              je reprends ma DS21 le soir par -15°C, voire moins. Elle a
              bien démarré, mais après deux ou trois km
              de descente, le gros voyant rouge du tableau de bord me fait de
              l’œil : température d’eau !! Paradoxalement,
              la voiture chauffe… en effet, le liquide ne circule plus,
              le circuit de refroidissement étant plus ou moins obstrué par
              des glaçons, pas assez d’antigel ! Quelques minutes
              glaciales d’attente pendant que la chaleur du bloc moteur
              fasse fondre tout ça. Je suis au bord de la route, sous
              les étoiles et les pieds dans la neige, au milieu des sapins,
              puis c’est reparti.
 
 *Vendredi 27 novembre 1987, Grenoble 21h00. Je monte dans ma DS21
              encore chaude de mon retour de Lyon (étudiant) et fonce à la
              station Mobil. Là je retrouve Mitch et sa DSpécial
              ivoire borely (qui arrive juste de Lyon lui aussi pour les mêmes
              raisons que moi), ainsi que Pâo et sa DSuper. Après
              un complément d’essence, nous voilà parti tous
              les trois, chacun dans sa DS, en direction du Vercors. Saint Nizier
              est atteint rapidement, mais la route est quasi sèche, sans
              intérêt pour nous. On poursuit donc pour monter jusqu’au  ‘’circuit’’ sur
              glace de Lans en Vercors. La route est piégeuse, une légère
              couche de neige sur de la glace vive… D’ailleurs Pâo
              et Mitch, coup sur coup, sortent de la route sans gravité,
              un peu de tôle froissée quand même.  
 
 Mais petit à petit on s’habitue, la conduite devient
              plus fluide, plus sûre, mais aussi plus spectaculaire. Et
              on se tire la bourre sur ce circuit, à trois DS avec le
              même niveau de performance, se doublant et redoublant en
              fonction des petites erreurs de chacun. Quel spectacle de suivre à  la
              toucher, une DS dans un dérapage qui n’en finit pas,
              dans une grande courbe, projetant un nuage de neige pulvérisée
              sur la DS suiveuse, opacifiant un pare-brise que les essuie-glaces
              tentent de nettoyer… Et vu de l’extérieur c’est
              pratiquement aussi spectaculaire. Vues d’un talus, les DS
              partent progressivement en dérapage, avec beaucoup d’inertie,
              puis le moteur mis à plein régime accompagné du
              bruit que font les pneus cloutés martyrisés qui tentent
              d’accrocher le goudron en arrachant la fine couche de neige
              tirent l’avant de la voiture vers la sortie. Toutes proportions
              gardées (évidemment !!), cette scène
              nous rappelle les fantastiques Audi Quattro que l’on va voir
              passer durant le rallye de Monte Carlo, chaque année. On
              fantasme comme on peut…
 
   *Vendredi 12 février 1988. Mêmes protagonistes, mêmes
              voitures. Cette fois-ci nous partons à l’assaut du
              massif de Belledonne, retrouver notre petite route forestière
              du Pinet. Hélas, non déneigée, la couche est
              trop épaisse pour pouvoir s’amuser… Personne
              n’est passé, et même si nos chères DS
              possédaient 4 roues motrices, ce qui n’est évidemment
              pas le cas, ce serait compliqué.  
 
 On redescend un peu pour ensuite prendre la direction de Chamrousse,
              par les Seiglières. La route est enneigée, mais le
              chasse neige est passé, retirant la surépaisseur.
              Il n’y a rigoureusement aucune circulation, je roule devant,
              ayant peut-être de meilleurs pneus et aussi, sur cette route
              assez rapide, un moteur DS21 récemment refait et plus puissant
              que celui de mes petits camarades de jeu.
 Il doit être 22h00, j’arrive au parking intermédiaire
              de Casserousse (1450 m d’altitude), tout en bas de la station,
              un lieu isolé et sans habitations. J’en fais le tour
              et surprise… Je tombe nez à nez avec une superbe
              DS noire, plantée dans un mur de neige !! Ses trois
              occupants, en petites chaussures de ville tentent vainement depuis
              un bon moment de la dégager, et quelle ne fut pas leur surprise
              de me voir arriver ! «Ca alors, une DS !!» s’exclame
              l’un d’entre eux. Et évidemment, Pâo arrive
              peu après au volant de sa DSuper : « incroyable,
              une deuxième DS ici !! Pas possible… ».
              Puis c’est au tour de Mitch d’arriver en DSpécial
              et alors là, nos trois naufragés sont estomaqués « une
              troisième DS, on est en plein délire ??? ».
              Finalement, on ne sera pas de trop,  à 6, pour sortir ce
              qui est finalement une très belle DSuper5 noire, impeccable
              d’aspect (évidemment pas restaurée à cette époque),
              au bruit de voiture neuve, chaussée elle de 4 impressionnants
              pneus cloutés. Peut-être un de ses occupants se reconnaitra-t-il ?
              (Elle était immatriculée TM 38). Notre soirée
              se terminera comme à chaque fois, avec ses crises de fou
              rire, ses quelques petites sorties de route, ses instants de pause à discuter
              dans la nuit glaciale de nos frayeurs ou exploits respectifs… avant
              de rentrer chacun chez soi autour de minuit.
 
 
 LaurentG   |