<Tribune Libre>
Introduction à la DS, par LaurentG
Certains chanceux ont pu découvrir les joies de la DS par filiation, à travers un père convaincu voire fanatique Citroëniste, qui remplaçait au fil du temps sa DS par une autre DS. Le fait de baigner quotidiennement dans l’atmosphère de cette incroyable auto entraine nécessairement un certain avantage pour l’apprenti passionné. Personnellement, je suis entré dans ce monde par la petite porte.
Je devais avoir dans les 6 ou 7 ans dans cette ville de Grenoble (je suis né en 1962), et j’avais parfois l’occasion de monter dans l’ID 19 1961 bleu Monte Carlo d’amis proches de mes parents. La prestance, l’espace à bord, la couleur gaie, l’atypique volant, les énigmatiques petits leviers à boules blanches, l’odeur, tout concourait au caractère particulier de l’engin. Et puis j’avais entendu parler ça et là des exploits d’un certain René Trautmann au volant de cette voiture, forcément sportive, dans les difficiles rallyes enneigés. Je me targuai déjà à l’époque de connaitre, ou plutôt reconnaitre, à peu près toutes les automobiles circulant en ville, aussi j’étais pour ainsi dire frustré d’être le sempiternel passager d’une vieille 2cv, unique voiture de mes parents à cette époque. Le fait de monter dans « l’ID » était pour moi quelque chose d’assez extraordinaire. Ca a forcément été une première étape dans l’origine de ma passion.
L’ID 19 de nos amis fut remplacée par une DS 19 1966 brun sardoine, tissu vert, achetée d’occasion. Celle là c’était quelque chose : Elle avait les phares boule additionnels, un compteur dont le maxi indiquait 180 et ce mystérieux petit levier de vitesse derrière le volant qui émettait un ‘clic’ à chaque manipulation. Cette voiture roulait beaucoup. L’ami de mon père travaillant à cette époque près de Barcelone faisait le voyage tous les WE, de nuit, par la route. De ces trajets lointains sont nés quelques mythes concernant les moyennes atteintes et les records sur tel ou tel tronçon. Tous ces exploits plus ou moins imaginaires alimentaient nos discussions interminables, son fils et moi, installés le dimanche au volant de la Citroën garée dans le jardin. Une DS 19 c’était quelque chose pour nous !
Au delà des 200 000km, le moteur n’en pouvait plus, et cette DS 19 resta immobilisée dans le garage de leur maison. N’ayant plus de valeur marchande, il fut décidé de la démonter entièrement, dans l’idée de conserver certaines pièces pour les probables DS suivantes. Autre étape importante…
A 10 ou 11 ans, moi qui ne savais pas encore de quel côté tenir un tournevis, j’allais passer deux ou trois WE avec mon copain, déjà bricoleur lui, à déposer tout ce que l’on pouvait démonter sur cette voiture. Un formidable atelier de travaux pratique. On a commencé par se jeter sur les garnitures intérieures, la planche de bord et ses nombreux boutons non repérés, les accessoires, puis la carrosserie et un peu de mécanique, enrichissant par la même occasion mon vocabulaire « passe moi la clé à pipe de 8 » « t’aurais pas vu le tournevis cruciforme… » Un grand moment pour un gamin déjà bien contaminé. J’en conserve un souvenir ému.
Cette DS19 fut suivie d’une DS 21 1967 bleu Monte-Carlo intérieur gris. Je garde en mémoire de celle-là les manœuvres dans le jardin, car mon copain commençait à s’exercer au volant. Qui n’a jamais sourit en assistant au ballet offert par une DS en manoeuvre ? Car ce n’est pas le conducteur qui travaille, c’est la voiture : Schlaak ! Le frein de parking est déverrouillé, la direction assistée permet une rotation fluide et rapide des grosses roues avant qui ripent sur le bitume, la caisse ponctue d’un ample mouvement vertical chaque déplacement ; le moteur est presque discret au milieu d’un concert de conjonctions disjonctions, du chant du pignon de marche arrière (clin d’œil aux manœuvres d’André Pousse au volant de son break DS dans le film le Pacha) et autres « klangs » lorsque l’on joue de la boite de vitesse. Un spectacle visuel et auditif dont je ne me suis jamais lassé.
Cette DS 21, qui ne m’a pas laissé d’autres grands souvenirs, fut remplacée un beau jour par un break 20 de 1971 bleu platine et targa noir (je sais, c’est incompatible du nuancier, et pourtant…), avec lequel plus tard, mon copain fit ses premières armes sur la route une fois le permis obtenu. Pendant ce temps, je martyrisais une pauvre Autobianchi A112, bien plus raisonnable pour un jeune de 18 ans, dixit mon entourage. En fait, je me suis rapidement débarrassé de la petite Italienne pour rechercher l’âme sœur : une DS. Je jetais bien naïvement mon dévolu sur la première venue, en l’occurrence une ID 20 de 1969, entièrement noire, pas chère mais pas en très bon état non plus, qui fit jaser dans la famille et aussi parmi les voisins…
Ah cette ID 20, son odeur, les tapis, ses fauteuils de salon, son canapé à l’arrière, la flexibilité de la suspension, la puissance du freinage, le ronflement du moteur (et du ventilateur) dans les tours, l’agrément général et finalement une certaine facilité de conduite… Je fis intimement connaissance du LHM, des cafetières, et de la plomberie associée. Bien sûr, l’hiver en ville elle consommait ses 18 litres, mais sur la route, j’étais le roi. Rien ne pouvait m’arriver au volant de cette voiture à la tenue de route fabuleuse si j’en croyais la légende. D’ailleurs je m’empressais de mettre en application cette théorie. Aussi dès qu’il pleuvait, qu’il faisait nuit, ou que la route était mauvaise, j’accélérai l’allure, tellement sûr de mon invincibilité, sûr de l’immense supériorité technique de la Citroën. Comme quoi cette réputation de voiture très sûre peut-être à double tranchant ! J’ai eu de la chance, je n’ai pas eu d’accident.
Six mois plus tard je la revendais. J’étais cependant devenu accro, le virus était bien installé, et c’était la première d’une longue lignée…
LaurentG |