<Tribune Libre>

DS des villes, DS des champs, par Paul

J’ai eu l’occasion de parcourir les échanges Province – Paris entre les distingués membres du Cescqual et du Pallas Club de France. Reconnaissons que ces messieurs témoignent d’une incontestable aisance de la plume et d’une certaine verve. Même si ça vire parfois à des concours dignes de chambrées militaires genre celui qui a la plus belle verve, rendez-vous au métro Vavin. Passons. Ce qui m’amuse dans ces échanges, c’est que je suis moi-même passé de la DS urbaine à la DS campagnarde.

Place aux souvenirs.

D’enfance d’abord. J’ai grandi dans le 8ème arrondissement de Paris dans les (déjà !) lointaines années 70. Dans mes souvenirs les plus lointains, mon père, dirigeant d’une petite entreprise, roule en DS noire. Une 20 Administration aux sièges vieil or puis une 21 injection Pallas aux sièges rouges. Il reçoit ses voitures neuves et les garde environ 18 mois, le temps de leur mettre plus de 100 000 km au compteur ! Il n’est pas le seul à user de telles montures dans le quartier. La proximité de l’Elysée, la profusion de ministères et ambassades autour de nous font que la DS noire est un standard du voisinage comme du journal télévisé de 20h, chers téléspectateurs. Mes yeux d’enfant voient avec une certaine fierté le fait que mon père use de la même voiture que président, ministres et ambassadeurs. Fierté qui atteindra son zénith le jour où mon père m’ayant déposé à la maternelle de la rue Roquépine, une camarade de classe ébahie dira : « Le papa de Paul il est ministre ! ». Après quoi, sans doute lassé du noir, il optera pour une DS20 Pallas beige métallisé (Tholonet apprendrai-je plus tard) aux sièges en velours caramel. Je me souviens que deux détails m’avaient paru incomparablement modernes par rapport à la 21 juste quittée : les poignées de portes encastrées et les vitres teintées. C’était l’avant dernière d’une série de six DS (il en avait possédé deux autres avant ma naissance) qui se conclura avec l’une des toutes dernières DS23 injection Pallas. Un symbole, cette voiture est bleu Delta comme la dernière DS sortie de Javel.

Ces DS avaient donc vocation urbaine tout au moins dans mes souvenirs. Les sorties dominicales se déroulaient rarement au-delà de la petite couronne : bois de Vincennes, Parc de Bagatelle... Souvent même nous restions dans Paris et prenions la DS pour aller explorer un quartier méconnu. Je me souviens de promenades dans Belleville ou Ménilmontant où l’on trouvait encore des Tractions stationnées dans les rues. Les DS dormaient dans la rue ou au parking souterrain du Boulevard Malesherbes, lieu sombre et sinistre à l’époque où je n’entrais pas sans crainte. Seules les vacances me permettaient de profiter de la DS en pleine vitesse. Je savourais notamment les accélérations vrombissantes à l’entrée de l’autoroute. C’était le signe qu’à ma grande joie, on allait rouler vite ! Les longs trajets nocturnes avaient aussi ma faveur. Allongé sur la banquette arrière, j’observais la lueur orange des clignotants à chaque dépassement. C’était autrement plus excitant mais plus rare que les promenades dominicales parisiennes.

En fait, cet aspect urbain était trompeur car en semaine, pendant que j’usais mes fonds de culotte sur les bancs de l’école, mon père parcourait la France entière pour vendre des machines de sablage. Au printemps 76, mon père abandonne à regret sa dernière DS. Fin de la première période DS urbaine.

Mais la passion et la nostalgie de la DS sont en moi. Et ce n’est pas la Peugeot 604 paternelle qui a succédé aux DS qui risque de me les faire oublier. La gourmande et pataude sochalienne a d’ailleurs été affublée du surnom de « veau qui tête » par mon père qui, lui aussi, regrette les DS.

Pour moi, en cette fin d’enfance et cette adolescence, la seule concrétisation possible de ma passion pour les DS est la collection de miniatures et de documentation. Il me faut attendre mes 20 ans à la fin des années 80 pour m’offrir ma première DS, une DS20 confort brun scarabée de 1973, très fatiguée ! C’est le début d’une série qui comprendra deux DS23 dont une injection, une DS19 68 « Pallassisée », une autre 19 de 57 et même une DSuper. J’habite toujours en région parisienne. Ces voitures dorment dans des parkings souterrains d’immeuble. L’usage est encore très urbain avec notamment des sorties nocturnes entre étudiants durant lesquelles l’originalité de ma monture me vaut un grand intérêt auprès des filles lassées des 205 de minets ! Je n’irai pas plus loin dans cette évocation par respect pour ces demoiselles aujourd’hui sans doute respectables mères de famille ! Quand je pense à ce que je faisais de mes premières DS, j’en frémirais presque de frousse rétrospective : stationnement parisien nocturne, circulation sous la neige ou dans la cohue indescriptible d’un soir de 14 juillet, garage dans un parking souterrain d’immeuble non sécurisé. La DS est alors ma seule voiture. Je me revois aller passer des entretiens d’embauche en banlieue dans ma DS23 injection très capricieuse. Je dois toutefois reconnaître qu’elle n’a jamais compromis ma ponctualité lors de ces rendez-vous. Mais une fois, au sortir d’un entretien, j’ai bien failli rester planté sur le parking d’un employeur potentiel. Je me revois dépanner l’engin sous la pluie à la nuit tombante en veste et cravate avec les mains noircies sous l’œil goguenard du recruteur depuis sa fenêtre. Parmi les autres gags de cette période, citons l’explosion du pare-brise de la DS19 de 57 sur l’autoroute de l’Est du côté de Marne la Vallée. Conduire une DS sans pare-brise un soir d’hiver (heureusement sec !) est une expérience vivifiante ! Meilleur souvenir en revanche que mon mariage dans ma DS19 1968 noire que j’ai voulu telle quelle sans décoration choucroutesque et rubans à la gomme. Juste un bouquet sur la plage arrière.

Ce n’est qu’au milieu des années 90 que j’achèterai une voiture « moderne » (une Twingo !) car mon nouveau lieu de travail est à 40 km de mon domicile. Je n’abandonne pas pour autant la DS mais elle prend dès lors le statut de voiture plaisir et du coup je deviens beaucoup plus précautionneux avec elle : fin notamment des sorties hivernales, et des soirées en ville, la « moderne » est là pour ça. Je persiste tout de même à m’en servir pour les vacances et les week-ends. A la fin des années 90, de versatile je deviens fidèle avec l’acquisition d’une DS21 Pallas 1972 que je possède toujours aujourd’hui.

Arrive l’an 2000 et une décision capitale : nous quittons Paris pour la province. Fin de la deuxième période urbaine.

Arrivé dans l’Yonne profonde, je découvre avec émerveillement deux choses en commençant à pratiquer la DS des champs :

  • Le loyer dérisoire des garages.

  • L’agrément de sortie et d’utilisation d’une « ancienne » à la campagne.

Plus tard, l’acquisition d’une maison avec grange va pour la première fois me permettre d’accroître mon parc de DS jusqu’alors réduit à l’unité. J’achète alors « pour rire » et pour un prix dérisoire une DS19 1963 bien mûre mais roulante. Je ramène l’engin à la maison par les petites routes car elle ne freine que de l’arrière et embraye d’un coup à 1500 tr/min. Mon mécano arrive à lui redonner un fonctionnement potable et nous « jouerons » avec pendant un peu plus d’un an avant de la revendre. Trop de travail et pas assez de temps pour en faire quelque chose de valable.

Et puis un jour, coup de fil d’un ami qui possède une ID19 1959 gris Mirage depuis plusieurs années : « Je vends mon ID, je voudrais que ce soit toi qui l’achète ». La voiture porte quelques stigmates de sa longue existence mais elle est dans un beau jus d’origine et très saine. Comment refuser ?! Je vais la chercher à Boulogne-Billancourt. Son achat est l’occasion de refaire un peu de modèle D en zone urbaine avec quelques bonnes chaleurs car un freinage à maître-cylindre fatigué dans la circulation parisienne oblige à anticiper ! Et dire que mon ami l’utilisait régulièrement sur le périph ! Elle aussi a su gagner ma fidélité depuis plus de dix ans et freine nettement mieux aujourd’hui ayant reçu un maître-cylindre neuf dégoté par miracle. Elle coule avec sa compagne DS21, une paisible existence d’ID des champs faite de promenades en famille et de quelques sorties de clubs.

 

Alors si je devais conclure :

DS des villes : amusant mais stressant

DS des champs : tranquille et apaisant