| <Tribune Libre>
 Mémoires d'une ID, par Frederic
 -Hum ! Hum ! Bonjour je suis une ID 19 confort de 1960, de teinte rouge minium ciré.  
 A l’origine je   suis de couleur bleu Pacifique, je le sais depuis peu car pendant   longtemps j’ai cru être bleu Monte-Carlo, ma carrosserie est en   plusieurs points identiques aux DS de cette époque. Mon toit en résine   est translucide. Mes sièges sont bleus et mes panneaux de portes aussi,   avec du velours blanc. Bizarrerie suprême de mes concepteurs, celui coté   conducteur n’a pas d’accoudoir. Je possède un tableau de bord de la   deuxième génération et un volant blanc. Un coup de téléphone apprend au grand type, comme l’appelle 58, que je   suis à vendre pour huit cent francs. Ni une ni deux, à ce prix là il ne   faut pas trop réfléchir. Le rendez vous fut donc pris. Le voilà parti   pour Montluçon dès le week-end suivant.
 Je dois bien avouer que quand il me vit ce ne fut pas ce que nous   pourrions appeler un coup de foudre. Ou alors il sait bien cacher sa   joie. Il fut un peu surpris, voire dérouté par mon apparence. En effet la   demoiselle qui était ma propriétaire me vendait car elle jugeait qu’elle   s’était suffisamment entraînée à la conduite après un permis fraîchement   acquis.
 Bilan, ma carrosserie n’était pas pourrie mais pas une porte n’avait   résistée, que dire des ailes arrières.
 Les routes de Montluçon ressemblaient à certaines heures à une piste   pour auto-tamponneuses qui m’avaient pris pour cible. Le grand type eut   quand même la vision de ce qu’il pourrait faire de moi.
 Par chance ma mécanique n’avait pas trop souffert et je restais en   pleine forme malgré mes vingt deux ans.
 Après les formalités d’usage, carte grise, certificat de vente et de non   gage, nous avons pris le chemin du retour.
 Avant la vente nous avions quand même fait un court essai histoire de dire.
 Le grand type en entendant tourner mon moteur sut tout de suite qu’il   n’était pas descendu jusqu’à Montluçon pour rien. Maintenant je me   retrouvais seule avec lui. Je pus tout à loisir lui faire profiter du   confort légendaire des Citroën, du moelleux des sièges, de la douceur de   la suspension et de la facilité avec laquelle j’enchaînais virage sur   virage et surtout aussi avec quelle souplesse mon moteur réagissait.
 Les défauts de la route, hop la !! Absorbés, balayés.
 Il découvrait une auto vraiment exceptionnelle. Pas comme celle qui   l’avait conduite de Paris à Montluçon.
 Mais au fait où est-elle cette voiture ?
 Elle n’est plus derrière nous !
 Tout à sa rêverie il l’a complètement oublié.
 Qu’a-t-il bien pu se passer ?
 A aucun moment nous n’avons entendu un coup de klaxon pour signaler une   éventuelle panne.
 Peut-être un incident tout bête et imprévisible est-il arrivé ?
 Il lève le pied...je ralentis...il touche la pédale ...je freine,   toujours pas de Renault 12 dans mon rétro. Il décide donc de s’arrêter   et d’attendre. Quelle fut sa surprise quand nous avons roulé dans   l’herbe du bas coté avant de stopper. Il ne sentit aucun des trous qui   se cachaient dans l’herbe et au freinage aucun écart non plus. Je   restais bien en ligne.
 Enfin l’autre voiture arriva. Il descendit de mon bord, pour aller   interroger le conducteur de la R 12 pour savoir s’il y avait un problème   pour se traîner de la sorte.
 La réponse fut une question.
 -Pourquoi roules-tu si vite ?
 -Quoi ?
 -Ben oui tu roules comme un dingue.
 -Pourtant je te garantis que je ne roule pas vite.
 -Bon ! Si tu le dis. On reprend la route mais attends moi, puisque tu ne   roules pas vite...
 -…???
 Le grand type fut très surpris par cette question.
 « Pourquoi roules-tu si vite ? » Résonnait encore à ses oreilles. Nous   n’avions pas dépassé les quatre vingt dix, cent kilomètres a l'heure !   Cette route était devenue bien lisse, bien agréable grâce à ma   suspension, où les courbes se négociaient simplement en douceur. Il   comprit qu’en plus des défauts de la route j’effaçais aussi l’impression   de vitesse. Le reste du voyage se fit dans une sorte d’euphorie.
 Il était le roi de la route, dans une voiture un peu vieille certes, car   j’avais su, malgré mon état, garder tous mes atouts.
 Dès le lendemain il fit le tour du nouveau propriétaire. Il soulevait   mes tapis, en appréciait leur épaisseur et leur densité en appuyant   dessus avec les pieds. Il touchait le tableau de bord, il était froid,   métallique mais pas anguleux, avec un gros bourrelet noir. Il touchait à   tous les boutons à toutes les manettes comme un enfant avec un nouveau   jouet. Il jouait avec l’équilibre de la porte du coffre. Il se remettait   derrière mon volant démesurément grand, normal je suis une ID et non une   DS comme 58. De technique plus modeste je n’ai pas de direction assistée.
 Il ouvrait et refermait mes portes rien que pour entendre leur bruit si   particulier. Il me regardait sous tous les angles, sous toutes les   coutures allant d’étonnement en surprises. Mon toit en fibres de verre   non peint, mes montants fins, les feux de stationnement en haut de mes   pieds milieu, ma lunette arrière en plexiglas. N’ayant pas de   documentation fournie avec chaque véhicule neuf il devait tout deviner   sauf pour le tableau de bord où tout est inscrit, si, si, tout, du   starter aux feux de position en passant par le lave-glace manuel et les   essuie-glace. Tout est marqué. Facile.
 Ce qui le fit sourire fut de s’imaginer en train de rouler par temps de   pluie, à moitié couché sur le fauteuil avant droit essayant de lire pour   savoir où était l’interrupteur des essuie-glace. Comme sécurité   passive on a fait mieux !
 Depuis un moment il cherchait comment ouvrir mon capot pour voir la   mécanique. Il avait beau se contorsionner sous ma planche de bord il ne   trouvait ni manettes, ni tirettes, ni trompettes. Rien.
 -Pourtant faut bien faire la vidange sur cette auto ? Pensa t’il. Le   capot doit bien s’ouvrir, mais comment ?
 Si ce n’est pas dedans c’est donc dehors. (Clin d’œil.) Il se retrouva   devant moi à quatre pattes pour chercher un câble ou un mécanisme   quelconque qui lui permettrait d’ouvrir enfin mon capot. Il mit du temps   à trouver de chaque coté de la plaque d’immatriculation deux petits   crochets. Il suffisait de tirer dessus et KLONG ! KLONG !
 Le capot se déverrouilla enfin. Il l’ouvrit et fut surpris par sa   légèreté malgré la grande taille de cette pièce. Très étonné de   constater que le moteur était loin, au fond de sa niche. Par contre ma   roue de secours lui parut très accessible. Il ne savait pas encore qu’il   rendrait plus souvent visite à mes moteurs qu’à ma roue de secours.   Faut quand même que je précise qu’avant de s’intéresser à ma mécanique   le grand type n’avait changé qu’une pompe à eau sur une Simca 1301   spéciale, qui fut sa première voiture et sa dernière Simca. Donc ses   connaissances en matière de réparation automobile étaient plus que   limitées pour ne pas dire nulles. Il dut ainsi poser puis déposer pour   enfin reposer à nouveau cette satanée pompe à eau pour qu’elle arrête   enfin de fuir. Plus tard ces opérations de pose et de dépose se   répétèrent avec une sorte d’insolence.
 C’est donc sur moi qu’il fit ses premières armes de mécanicien. Il   devait découvrir ce qu’était un point d’allumage, une sphère de   suspension, un conjoncteur disjoncteur. Enfin bref il dut apprendre la   mécanique.
 C’est aussi avec moi qu’il fit des erreurs impardonnables comme par   exemple :
 De jeter mes ailes arrières pour les remplacer par des moins cabossées   certes, mais plus longues.
 De jeter ces petits butoirs noir pourtant accessoires d’époque, sous   prétexte qu’ils glissaient tout le temps.
 De remplacer les sièges avant d’origine par des fauteuils de DS 23 Pallas.
 De remplacer ma lunette arrière en plexiglas légèrement rayée et opaque   par une autre qui était teintée et avait le désembuage électrique.
 Des erreurs qui auraient pu être évitées. S’il avait eu de la   documentation et aussi un peu plus l’esprit restauration ! Pour ce qui   est de la documentation il n’eut pas trop de mal à en trouver, l’esprit   restauration viendrait plus tard, petit à petit. Lentement il me remit   en état, il me changea une porte arrière trouvée pour 100 F à la casse,   mes nouvelles ailes arrières étaient trop longues, ce n’est pas grave,   on force un peu et on ne sert pas les boulons à fond.
 
 Nous étions en 1984
 Nous roulions tous les jours pour qu’il aille à son travail. Nous   prouvions chaque jour que je suis faite pour rouler. Un jour il   entreprit la réparation de mes ailes avant. Comment ne pas être inquiète   vu que ses connaissances en carrosserie étaient aussi étendues que   celles en mécanique ? Il dut apprendre à souder, à enduire, à mastiquer   puis à peindre. Il commença par agrandir les traces de rouille de mes   ailes avant, traces qui se transformèrent en trous et trous qui se   transformèrent à leur tour en gouffre. "Ce n'est pas grave, se dit-il.   En soudant une plaque derrière puis en enduisant on y verra que du feu.   "» Le voilà donc qui cherche dans un tas de ferraille, trouve un fer   plat d’un centimètre d’épaisseur et content de lui revient vers moi pour   commencer la « restauration » de mes ailes. Le voilà donc grattant,   soudant, limant, ponçant, enduisant puis peignant jusqu’à obtenir un   résultat très convaincant…. Pour lui. En tout cas il n’y avait plus de rouille.
 L’esprit restauration arrive.
 Je commençais à ressembler à une palette d’échantillon de chez Ripolin   avec mes ailes arrières noires, une porte blanche et mes ailes avant   rouge enduit sur fond bleu. Suite à une invitation pour un mariage il   décida de me repeindre.
 Il prit un pinceau et du... minium rouge. Comme il faisait chaud la   peinture séchait rapidement, collait le pinceau et faisait de grandes   traces. Pas grave. Il se remit donc à poncer. Comme il faisait toujours   aussi chaud l’eau du ponçage s’évaporait rapidement ! Au bout d’un   certain temps j’étais rose ! Rose Cadillac année cinquante. Quel choc !
 
 Pas grave. Après un rapide lavage j’étais déjà moins rose. Il décida   donc de me repeindre à nouveau mais cette fois ci au pistolet. Nouvel   apprentissage. Il dilua le minium pour moitié avec du... white-spirit.   Le résultat fut que la peinture était uniforme mais désespérément mate.
 Pas grave. Un lavage automatique avec cire de protection devrait faire   briller la peinture. Le résultat dépassa nos espérances mais fut de   courte durée car le minium avait une fâcheuse tendance, celle d’absorber   la cire. Heureusement il connaissait la caissière de la station service.   Ce qui lui permit de faire de substantielles économies.
 La première vraie panne que je lui ai infligée fut celle du joint   supérieur du conjoncteur qui se mit à fuir sans raison. Il mit un temps   fou pour trouver la fuite, puisque tout le dessous de mon avant est   caréné et que le liquide coulait par en bas. Il décida de démonter les   plaques de protections pour mieux voir et surtout pour une meilleure   accessibilité.
 Lesdites plaques pesaient un âne mort. Elles n’avaient jamais été   démontées et supportaient deux à trois centimètres de crasse huileuse,   de gravier, de cailloux et de plein de choses qui font que la mécanique   c’est salissant.
 Une fois les plaques déposées il se rendit compte que le conjoncteur se   retire par le dessus. Ce n'est pas ce qu’on appelle gagner du temps. Et   je ne vous répète pas tous les mots prononcés au moment de la découverte   de la vérité. Enfin il passa par en haut puis arriva à toucher le   conjoncteur et chercha un collier, puisque un ami auprès de qui il avait   prit des renseignements lui avait dit :
 - C'est simple ! Ton conjoncteur tient par un collier sur une plaque, tu   as deux tuyaux, un d’arrivée un de départ. C’est facile tu verras.
 Puisque c’est simple et facile allons-y.
 Le voilà donc glissant ses mains dans l’espace entre le moteur et l’unit   avant gauche il défit mes deux tuyaux hydraulique facilement, dans la   revue technique ils disaient qu’il fallait les protéger avec des petits   bouchons. Comme s’il n’avait que ça à faire et de toute façon il n’avait   pas les fameux petits bouchons!
 Il chercha le fameux collier qui était censé tenir le conjoncteur. Rien.   D’accord il débute dans la mécanique, mais quand même il sait ce que   c’est qu’un collier ! Cela fait un bon moment qu’il palpe du bout des   doigts pour imaginer, tel un aveugle, la forme de la pièce, quand   soudain tout devient clair. Le conjoncteur ne tient pas par un collier   mais par deux vis qui le traversent de part en part.
 Les conjoncteurs disjoncteurs tenant par des colliers furent montés plus   tard. Le mystère des pièces détachées Citroën venait de lui faire un   petit coucou très significatif. Mon conjoncteur devait donc être démonté   avec des clefs plates qui n’arrêtaient pas de glisser entre le moteur et   l’unit avant pour tomber sur les plaques qu’il avait eu la bonne idée de   remonter. A peu près trois heures soixante plus tard il tenait enfin la   pièce qui lui avait donné tant de mal. Il ne savait pas encore qu’elle   lui poserait encore quelques soucis. N’ayant pas de joint et encore   moins d’outils appropriés il répara la fuite avec de la soudure à froid.
 Ne riez pas messieurs les mécanos car la soudure tint. Bien sur après   plusieurs tentatives. Je fus de nouveau en pression et nous pûmes   reprendre la route.
 Entre-temps il entreprit de remettre en état mon circuit de lave glaces   qui ne fonctionnait plus. Il le répara plutôt facilement par rapport au   reste, il changea les tuyaux translucides et nettoya le bocal. Il   remonta le tout et ceci fonctionna bien. Plus tard sur la route il se   dit : « tiens! Je vais essayer le lave glaces en roulant ». Il pompa et   là deux petits jets ridicules crachotèrent un peu d’eau, puis plus rien.   Il s’arrêta pour constater que le tuyau de droite était trop long et   qu’il était collé sur l’échappement. Il le répara et le circuit   fonctionna de nouveau.
 Quelque temps plus tard sur l’autoroute à la fin d’une averse de pluie   il n’y avait plus suffisamment d’eau pour les essuies glaces et la   visibilité commençait dangereusement à se réduire. Il décida d’utiliser   mon lave glaces. Il pompa... rien ! Pompa de nouveau comme un dingue...   RIEN !
 Rien ne se passa mais alors rien de rien. Il ouvrit son carreau et avec   un essuie tout, essuya le pare brise. Dès qu’il le put il s’arrêta   pensant que le tuyau s’était peut-être débranché ou avait encore fondu !   Il ouvrit le capot pour constater que nous avions purement et simplement   perdu mon bocal en verre qui contenait le précieux liquide.
 Une autre fois ce fut au moteur d’essuie-glace de se faire remarquer.   Un ami de l’ancienne propriétaire avait échangé mon moteur en panne   contre un de 4L, cela ne fonctionnait pas trop mal sauf que l’ami en   question n’avait pas fait attention à la longueur de la patte   d’entraînement des essuie-glace. Celle ci à chaque tour poussait puis   tirait le moteur pour recommencer au tour d’après. Comme le moteur était   monté sur du caoutchouc celui-ci s’est usé et le moteur est tombé ! Nous   avons continué sans essuie-glace au…………..Sopalin.
 De retour à la maison le grand, après avoir compris (ce qui ne fut pas   simple ) dut rétrécir la patte d’entraînement pour que le moteur   d’essuie-glaces tourne sans rien abîmer. Quelques pluies plus tard nous   eûmes besoin de mes essuie-glace. Il tire sur l’interrupteur, avec je   le sens bien quelques appréhensions. Parfait tout fonctionne. Il pleut,   il roule c’est la fête a tout ce qui roule. Quand soudain les essuie-glace s’arrêtent. Il parvient à stopper au pifomètre non sans proférer   deux ou trois mots que seuls les hommes comprennent. Prudent il avait   découpé le fond de la boite à gants et vit donc tout de suite de quoi il   retournait. Il avait mal resserré l’écrou qui tenait la fameuse patte.   Avec la force du moteur les cannelures s’étaient usées. Il resserra   l’écrou à la main, faute d’outils et plusieurs fois l’écrou a ressauté   plusieurs fois usant un peu plus les cannelures. Heureusement il n’était   pas seul. Son copilote devint donc pilote et lui devint teneur de pièces   en mouvement pour éviter qu’elles ne se désolidarisent. Nous fîmes   plusieurs kilomètres lui dans cette position et moi sous la pluie. Il   était drôle les mains dans la boite à gants et le nez dans le pare   brise. Ce n’était peut être pas le moment de lui parler du confort des   Citroën. Au fond de la boite à gants sans fond, donc derrière le tableau   de bord il s’aperçut que la garniture était manquante à certains   endroits et il ne comprenait pas pourquoi il y avait plein de petits   bouts de papier dans une sorte de petite boule de tissus. Tenant d’une   main le mécanisme de l’autre il décida de fouiller la boule. Il   découvrit deux souris mortes apparemment de froid puisqu’elles étaient   encore blotties l’une contre l’autre. Sa surprise fut-elle qu’il lâcha   tout. Bien sur les essuies glaces en profitèrent pour s’arrêter, ce que   lui fit remarquer le conducteur en termes très surs puisqu’il pleuvait   toujours très fort. Dans la panique il ré assemble la petite patte, le   moteur tournant toujours il y arrive du premier coup, le mécanisme se   remet donc à tourner lui coinçant les doigts avec une force inouïe.   Évidement il retire sa main d’un tel piège. Son pilote de nouveau lui   fit constater en mots bien précis que les essuie-glace ne fonctionnent   toujours pas. Comme il pleuvait vraiment très fort ses doigts durent   attendre. Nous sommes rentrés à la maison sains et saufs, la nature   répara ses plaies et lui mes essuie-glace.
 Suite à cette aventure chaque fois que nous étions dehors et que le ciel   devenait menaçant je dois bien dire que je le sentais quelque peu   inquiet voir anxieux s’il se mettait à pleuvoir.
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