"Aulnay ou Javel?", par le Docteur Danche

Javel était l'usine originelle, héroïque, celle qui fut fondée par André Citroën pour produire des obus lors de la guerre de 14, et sortit toutes les Citroën qui marquèrent l'histoire automobile: Traction, 2cv, DS.

Située dans Paris XVème, plutôt vétuste et objet d'une certaine pression immobilière, elle fut abandonnée en 1976, et elle laisse sa place aujourd'hui au parc André Citroën et à un certain nombre de constructions récentes.

Le projet d'une nouvelle usine Citroën Parisienne, située en Seine Saint Denis, fut lancé en 1972, et, en Avril 1973, la première DS (Ivoire Borely) sortait des chaines lumineuses et ultra modernes d'Aulnay.

Un peu plus tard, en Avril 1975, la dernière DS sortait des sombres chaines de Javel.


Et on en arrive donc au mystère que je souhaitais vous soumettre: entre Avril 73 et Avril 75, les DS berlines étaient donc produites simultanément à deux endroits: à la fois sur les chaines dernier cri d'Aulnay, et sur les chaines vieillissantes de Javel.

J'ai souvent entendu dire qu'il était impossible aujourd'hui d'identifier une DS produite à Aulnay d'une DS produite à Javel, mais je n'arrive pas à m'en convaincre... Bon sang, les technologies de production devaient forcément varier sur certains points.

Ce témoignage fut recueilli un beau jour par Paul:

Dans les années 90, j'avais été convié avec plusieurs de mes petits camarades, par le CE de l'usine d'Aulnay, à venir présenter sur site aux badauds ébahis, nos DS et plusieurs de leurs spécificités. J'avais notamment fait une prestation sur 3 roues avec ma DS23 d'alors, chose héroïque si l'on considérait la rouille qui gangrenait ses longerons.
Mais l'intérêt de l'anecdote n'est pas là. Cette question de la différence entre DS parisiennes et banlieusardes  me turlupinait déjà à l'époque. Le hasard fit que je me trouvais en présence d'un retraité qui avait participé au démarrage de l'usine d'Aulnay. Selon ce brave homme, n'auraient été produites à Aulnay (restons au conditionnel) que des ID ou DS Confort, uniquement à boîte mécanique et carburateur, ces mêmes variantes restant assemblées en parallèle à Javel. Pallas, boîtes hydrauliques et injections seraient demeurées intégralement à Javel jusqu'à la fin.
Bien sûr, cela demande à être confirmé ou infirmé par d'autres sources. Mais à y réfléchir, ce n'est pas impossible pour plusieurs raisons :

   * Citroën savait la production de la DS à Aulnay temporaire puisque la fin du modèle était prévu (du moins en 1973) pour 1977 au plus tard. Donc n'y transférer que la production des modèles les plus simples, rendait le déménagement plus aisé.
   * Sur toutes les photos  de la chaîne DS d'Aulnay que j'ai pu voir,
les Pallas, injection ou autres sont absentes. En revanche la première voiture d'Aulnay est bien une DS (grands enjoliveurs de roues) et non une DSuper ou DSuper5. Par ailleurs, dans le Grand Livre d'O. de Serres, on voit une voiture en cours de montage (sans carrosserie) et le moteur est bien à carburateur et la boîte mécanique (absence du régulateur centrifuge au-dessus de la pompe HP).
   * La dernière DS qui est une Pallas injection, est bien sortie de Javel.

 

Plus tard, Yves, un ancien d'Aulnay, m'a appris ceci, en réaction à cet article:

"J'ai bien regardé les photos et votre texte et je vous apporte mon témoignage et mes souvenirs.

La photo de la DS 0001 ne montre pas les "lignes" de montage (chaines étant péjoratif, on ne l'employait pas) mais le plateau de retouches: petit atelier (sur la photo on en voit 1/4 de la surface) ou les défauts de montage et peinture étaient retouchés. La cabine d'ou sortent les DS servait à vérifier l'étanchéité. La cabine à droite est une cabine de séchage (après ponçage et lavage de l'élément à peindre). A l'extrême droite (on la devine) c'est une cabine de peinture avec tunnel de séchage à lampes infrarouge (140°)

Javel ou Aulnay ?
Toutes les DS sont assemblées à Javel (JV)….. !!
Elles ne sont que partiellement finies à Aulnay (AN)
Les DS arrivent de JV (par camion ou par train je ne me souviens plus) roulantes. 
Le châssis est ferré (on appelle ferrage l'assemblage des tôles par soudure électrique) à JV, peint à JV, tous les éléments mécaniques sont montés sur le châssis à JV (moteur, bv, train AV, AR, échappement, suspension, freins ,roues, tuyaux hydraulique).
Les éléments de carrosserie sont ferrés et peints en apprêt à JV et arrivent nus sur le "châssis moteur". La voiture est donc reconstituée avec des portes capots et ailes vides. Ces éléments sont démontés et peints à AN.

Le châssis moteur est accroché sur la ligne de montage (dans l'atelier de montage il y a 3 zones, 1ère finition, mécanique, 2ème finition, seule la 1er finition est utilisée pour la DS. Les autres zones sont vides, encore en chantier). Les ouvriers mettent en place les faisceaux électrique, les insono, les moquettes, les sièges. Les portes, ailes et capots sont remontés habillés (on a préalablement mis en place les caoutchoucs, les insono, les serrures, les glaces, les poignées, les panneaux tissus). La voiture arrive en fin de 1ère finition, terminée. Elle est décrochée de la ligne et part soit en retouches, si elle a des défauts, soit au "commercial" si elle est jugée bonne, sans défauts (ce qui était très rare).
Sur la ligne commerciale on faisait les derniers contrôles, on frappait le numéro de châssis, on mettait les enjoliveurs dans le coffre et collage des étiquettes "Citroën préfère Total".

Comment reconnaitre les DS d'AN puisqu'elles étaient ordonnancés (c'était le terme employé) à Javel. Toute la définition de la voiture se faisait à Javel (types, options, couleur, pays)

Les chaines dernier cri d'Aulnay.
Ceci n'est valable que pour la CX, comme je vous l'ai dit plus haut, nous n'utilisions qu'une petite partie du montage en chantier. C'était très artisanal, tout était fait à la main.

Les types de DS montés à AN.
Je ne me souvient pas avoir vu des Pallas à AN et cela est logique. Moins il y a de diversité sur une ligne de montage plus l'ouvrier mémorisera facilement son travail. En ne faisant que des "confort" le montage était plus simple.
Pour les BV hydro, je me souviens qu'à Javel je choisissais des hydro pallas lorsqu'il y avait des voitures à déplacer, je les adorais. A AN je n'ai pas ce souvenir, par contre il y avait des 23 confort.
L'injection n'aurait pas gêné le montage puisque la mécanique arrivait montée.
Je ne me souviens pas s'il y en avait.

Les pavillons peints.
Bien qu'ils étaient teintés dans la masse sur les Dspécial et les Dsuper, à Aulnay nous avons peint des pavillons en blanc.
Lors du test de fonctionnement du lave glace, le liquide à pénétré dans la matière et formé des taches jaunes. la seule solution fut de les repeindre. Plusieurs centaines étaient touchées.

En 1974 j'avais 22 ans et je conduisais tous les jours des DS neuves……………

 

 

Et enfin, fin 2018, un visiteur m'a écrit ceci:
"bien sûr il est impossible de différencier une DS de Javel d'une DS d'Aulnay, cela aurait décrédibilisé Citroën; mais j'ai remarqué que la frappe à froid à Aulnay était devenue plus propre, plus industrielle."

J'ai voulu vérifier cette info.

Et j'ai pu retrouver une Dsuper dont on est sûr, certificat Citroën en mains, qu'elle est sortie d'Aulnay.

Voici sa frappe à froid. En effet c'est assez propre.

Et une autre DSuper d'Aulnay

... et sa frappe à froid.

Et voici la frappe d'une 23 Pallas de 1974, dont je ne suis pas sûr du lieu de production.
C'est effectivement très irrégulier. En fait c'est même fait à la "va comme j'te pousse".

Hasard statistique, dépendant du soin apporté par l'ouvrier qui faisait ça?

Ou véritable révélation sur le mystère "Aulnay ou Javel"?

La question du Dr Danche, suite à cet article, a tourné parmi les anciens de l'usine.

Au final une seule information exploitable, en provenance de Yves: "sur les CX, à Aulnay, la frappe se faisait avec un outil de positionnement des chiffres et lettres, ce qui les alignait parfaitement. Des pinces assemblaient les deux parties de l’outil et pinçaient la tôle dans la gouttière d’aile avant droite de la CX. La pièce en acier placée derrière portait coup au moment de frapper les chiffres.

Il aurait pu être pincé de la même manière sur la DS, ce qui expliquerait alors le bon alignement du N° de chassis. Mais je n'ai aucune certitude sur l'utilisation de l'outil pour les DS.  

Je joins un dessin expliquant le principe."

Et un jeu à frapper récupéré à Aulany. On relèvera que le 6 fait aussi le 9.

Hélas suite à l'article, les contre-exemples sont arrivés.

Voici une Dsuper 1973, sortie Javel.

Et une DS23ie, sortie Javel. Le propriétaire m'a demandé de masuqer les derniers chiffres du numéro de série, mais ça ne change rien: on voit que la frappe est tout aussi régulière que sur les DSuper d'Aulnay.

 

Si vous souhaitez vous aussi partager un souvenir de l'époque de la fabrication, n'hésitez pas à prendre contact avec moi!

Dr D.