<Tribune Libre>

La DSpecial au service militaire, par LaurentG

 

Grenoble, mai 1984. Un jeune sans permis, trop confiant dans les reflexes de sa GTI, vient de couper en deux ma GSX2 beige vanneau que je pleure. Je suis cependant vite consolé par sa remplaçante achetée dans la semaine, une DSpecial de 1974, également beige vanneau. C’est une première main comme on aimerait encore en trouver aujourd’hui, avec 102 000 km, pas bricolée, donc sans montre ni moquettes ni baguettes, mais juste des housses par dessus le targa tabac des sièges restés comme neufs. Pas de corrosion apparente, juste quelques petites bosses ou rayures. Payée 4000Fr qui plus est, mais c’était le prix à l’époque. Elle appartenait à un agent de laboratoire, comme le mentionne la carte grise sur laquelle était encore indiquée, à l’époque, la profession du titulaire.
Aout 1984, je pars faire mon service militaire, en Allemagne. C’est normal, j’avais demandé France métropolitaine ! Et je me retrouve dans les transmissions, alors que je souhaitais être à la campagne, au grand air. Qu’à cela ne tienne,  je réussis à me faire affecter au garage (dit « le 2B ») à l’entretien des HY et autres méhari, sans jamais voir un poste de transmission radio pendant toute la durée de ce sé(r)vice. Rapidement, un des principaux inconvénients de cette situation m’est apparu : les trajets entre l’Allemagne et Grenoble lors des nombreux WE de permission. C’est assez long et compliqué si je prends bêtement le train, les horaires ne convenant pas du tout à un aller et retour dans  le week-end. Je décide donc d’effectuer ces trajets avec ma nouvelle DSpécial.


Il faut savoir que les militaires locaux n’ont pas le droit de circuler en Allemagne avec leurs voitures en plaques françaises, il faut impérativement changer de carte grise, et corollaire, de plaques d’immatriculation. Celles-ci, bien connues des frontaliers, sont d’un bleu très soutenu. Pour les obtenir, tout commence par un contrôle technique, qui n’existait pas encore dans le « civil ». Rendez-vous pris avec la gendarmerie Française de Baden-Baden, je me pointe en DSpécial dans leurs ateliers. La voiture, qui n’avait heureusement rien à se reprocher, est placée sur le pont et sérieusement auscultée. Les divers n° de série (ici 09 FD 0583) sont également vérifiés, puis vient l’épreuve de freinage, dans l’immense cour des garages de cette gendarmerie. Une espèce de gyroscope à inertie de je ne sais quelle époque est posé sur le plancher par mon passager de gendarme. Je démarre. Il faut que j’atteigne une vitesse de l’ordre de 50 km/h, puis il m’ordonne de freiner en lâchant le volant. Evidemment j’obtempère, mais visiblement pas assez vivement, car son appareillage énigmatique indique une puissance de freinage insuffisante, non conforme. Je recommence l’opération à la demande de l’autorité, et là je freine énergiquement, comme recommandé. Vlan, le gyroscope bascule sur le plancher en vinyle, et mon gendarme qui ne se tenait pas suffisamment (et pas attaché bien sûr) s’écrase dans la planche de bord, avant de déclarer en rigolant jaune «  c’est parfait, finalement elle freine très bien cette voiture ! »
J’ai donc passé avec succès les diverses épreuves m’autorisant à échanger ma carte grise contre un certificat d’immatriculation émis par le commandement en chef des Forces Françaises en Allemagne, avec inscrit mon nom, mon adresse locale, à savoir SP 69216, et ma nouvelle immatriculation : 81 1574. Quel romantisme ces militaires ! Enfin on m’installe les nouvelles plaques, bien bleues, rivetées à la place des anciennes. Un avantage quand même, ces nouveaux papiers octroient le droit d’acheter, aux économats, des tickets d’essence à 3Fr 80 le litre, valables dans certaines stations essence en Allemagne, alors que ce même super vaut 5Fr 50 à 6Fr 00 le litre en France (la solde mensuelle du transmetteur 2ème classe que je suis alors est de l’ordre de 500 Fr + 30 DMarks). Autre avantage, dans cette configuration on n’est pas tenu d’acheter la fumeuse vignette annuelle, hors de prix pour une 11cv.

Au début, j’avais choisi pour mes trajets Allemagne – Grenoble et retour, de passer par la Suisse, trajet le plus court, avec moins d’autoroutes payantes, et puis sans limitations de vitesse sur la partie Allemande. D’ailleurs ça me faisait tout drôle de pouvoir rouler en permanence à plus de 160 compteur avec la DSpécial (à moteur DY3), plus stressé par le bruit et le risque de casse mécanique que par la police, et aussi de me faire doubler par quelques Porsche ou BMW avec quelques 50 km/h de mieux…
Et puis un jour, venant du nord et arrivé à la frontière Allemagne/Suisse à Bâle, les douaniers Allemands me regardent tranquillement passer, puis 300 m plus loin, leurs homologues Suisses décident d’arrêter ce jeune aux cheveux trop courts dans une DS devenue peu courante sur les routes. « Vos papiers !» J’avais bien ceux de la voiture, mon permis, ainsi que ma carte militaire, mais ça ne suffisait pas au fonctionnaire Helvétique qui attendait un document plus officiel, genre carte d’identité ou passeport. Demi-tour, direction l’Allemagne. Demi tour donc, mais au bout de 300m, son collègue Allemand qui avait dû voir la scène, m’arrête à son tour : « Vos papiers !». Rebelote, je sors mes documents, qui ne lui conviennent pas non plus, et de ce fait il m’interdit d’entrer en Allemagne, d’où je venais pourtant. Mes explications dans ce sens n’arrivent pas à le convaincre. Et voilà comment un pauvre militaire qui n’a rien demandé, se retrouve dans sa DS une nuit d’un vendredi soir, condamné à errer dans un no-man lands entre deux postes frontière, sans possibilité d’en sortir… A ma demande, ou surtout devant ma lourde insistance, le chef de poste fut appelé, et celui-ci dans un éclair de compréhension, finit par m’autoriser à re-rentrer en Allemagne, mais qu’on ne m’y reprenne pas ! J’ai bien tenté un nouveau passage, un peu plus loin, à un autre poste frontière, mais avec le même résultat, ils avaient dû se passer le mot. J’ai dû faire un grand détour en passant par la France, et depuis ce moment je crois que je ne suis plus jamais retourné en Suisse.
A vrai dire, la frontière Française du côté de Strasbourg, pour un appelé en DS, ce n’était pas beaucoup mieux. Ca parait inconcevable aujourd’hui, mais à chaque passage le vendredi soir à l’entrée en France, les douaniers à moitié endormis qui regardaient passer le flot de voitures, se réveillaient à la vue de la DSpécial et l’arrêtaient. Et là c’était comme au cinéma dans le corniaud : j’avais le droit au passage sur la fosse, ouverture du capot moteur, démontage de la banquette arrière, portières secouées et fouille complète de la Citroën et des bagages. Une petite demi-heure d’arrêt obligatoire. Délit de sale voiture certainement…

Et puis vient le long hiver 1984/1985. Certains s’en souviennent peut-être. Un froid polaire, presque deux mois de neige. Je me rappelle certains matins de janvier à la caserne, le thermomètre indiquait -25°C. Inutile de dire que ça posait quelques problèmes de démarrage à l’ensemble du parc automobile local, et notamment celui de ma DS le vendredi après-midi, afin de partir en permission bien méritée. Je maintenais ma batterie bien chargée et au chaud dans l’armoire de ma chambre durant la semaine, comme on me l’avait conseillé. Je me rappelle particulièrement de ce jour où, après avoir réinstallé la batterie sous le capot de la DS, être resté dans l’incapacité de faire tourner le démarreur, toute la mécanique étant prise dans une sorte de végétaline… Finalement, avec des pinces, alimentant directement le démarreur en 24 volts pris sur le camion du garage qui nous servait de dépanneuse, le démarreur fini par tourner laborieusement, et le moteur démarra par miracle. Mais ce n’était pas fini, car 5 minutes plus tard, la suspension arrière refusait toujours obstinément de monter. A force de secouer la voiture dans tous les sens, à plusieurs, l’arrière se libéra brutalement et prit sa hauteur réglementaire. Le trajet vers la gare de Strasbourg (60km) où j’allais prendre mon train se fit à petite vitesse, grattant régulièrement le givre à l’intérieur du pare-brise, malgré un chauffage/dégivrage qui me paraissait jusqu’ici bien fonctionner jusqu’ici, mais qui se révélait nettement insuffisant par ce froid Sibérien. Eh non, je ne disposais pas de l’option chauffage grands froids ! Long passage à la frontière du fait de l’habituel traitement VIP auquel j’avais droit, puis arrivée devant la gare, juste 3mn avant le départ du dernier train me permettant d’arriver chez moi avant le samedi. Zut, les parkings payants sont affichés complets… Que faire ? Plus le temps, je me gare en vrac sur le trottoir, devant la gare, et laisse la voiture posée là pendant que je cours attraper le dernier wagon au vol. Evidemment, je stresse tout le week-end : sera-t-elle encore là à mon retour ? Va-t-elle redémarrer lundi matin ? Finalement tout s’est bien passé, juste deux contraventions sur le pare-brise, c’était le bon temps, et elle a bien voulu repartir !


Les beaux jours reviennent enfin. Mardi soir, 21 mai 1985, retour de permission. Je pars de Grenoble au volant de la DSpécial, accompagné par 3 appelés de mon régiment à qui j’ai proposé ce retour en voiture en échange d’un partage des frais. On a parcouru 20 kilomètres, et je leur fait l’article au sujet de ma voiture préférée, spacieuse, confortable, hyper technique, et avec laquelle je ne suis jamais tombé en panne au cours des nombreux allers et retours effectués pied au plancher. Soudain, d’énormes flashs rouges intermittents au tableau de bord, me glacent le sang. Quelques secondes plus tard le fameux voyant STOP reste allumé en continu, tandis que le confort se dégrade fortement. Il faut se rendre à l’évidence, la voiture n’a plus de suspension et laisse couler un filet de ce qui lui reste de LHM sur la route. On se croirait revenu aux temps héroïques du liquide rouge ! La DS se traine ainsi jusqu’au parking de la gare de Voiron toute proche. Bon, on prend le train ? La panne fut réparée dans la semaine par des amis venus remplacer le tube HP fautif par un neuf acheté 36 francs chez le concessionnaire Citroën Ricou de Grenoble, alors que pendant ce temps, 5 ou 600 km plus au nord, je me morfondais en attendant impatiemment la quille, comme on dit.
Ce jour fini par arriver, il m’a fallu impérativement rendre les plaques bleues aux gendarmes, ce que j’ai évidemment oublié de faire, elles sont d’ailleurs toujours dans mon garage. Et je me rappelle encore le plaisir de la liberté retrouvée, de ce dernier trajet retour, par une belle journée de juillet, toutes glaces ouvertes au volant de ma fidèle DSpécial …

LaurentG