<Tribune Libre>

Mémoires d'une DS, par Frederic

Octobre 1992.

Seul haut de gamme, quelque peu défraîchi, parmi une myriade de populaires, dans un de ces champs de derrière les garages où tout se mélange. Cuve à fuel percée, restes de charpente métallique qui peuvent toujours servir ; On ne sait jamais, restes d’un fourgon qui sert d’abri à des pièces encore plus délabrées que lui.
Un jour un grand type vint directement vers moi, apparemment il savait que j’étais là, je croyais pourtant être bien cachée le long de ce mur. Un curieux de plus qui passerait soit pour voir la vielle voiture soit pour me parler de mes gloires passées. Cela faisait quinze ans que j’en voyais passer des types, des intéressés mais fauchés, des plus riches mais pas intéressés. Cela faisait quinze ans que j’en voyais arriver des voitures en plus ou moins bon état et repartir toujours en plus ou moins bon état. Il s’en passe des choses en quinze ans. Mais revenons en à notre grand type.
Celui là avait l’air tout bizarre en me voyant. Comme s’il avait trouvé une 22 Traction avant ! Mon long capot tordu, mon aile avant droite dans l’herbe, mes sièges défraîchis par le soleil ainsi que mon tableau de bord déformé par la chaleur ne parurent pas lui faire peur et mon abandon évident encore moins. Par contre, lui apprécia mon pare chocs avant, mes ailes arrière avec deux petits enjoliveurs en alu, sans liserai, ma montre mécanique sur le cendrier. Il fut surpris par mon toit en alu, ma baie arrière en plexiglas et mes deux cendriers aux dos des sièges avant.
Tant bien que mal il ouvrit mon capot plié, constata que ma mécanique était presque complète. Presque en effet car un jour le garagiste vendit un de mes relais de direction.
Une autre fois il eut besoin d’un bout de tube alors il prit sa scie à métaux et coupa un bout de mon tuyau d’échappement juste sous le pot de pré détente sans autre forme de procès. Par chance il n’eut jamais besoin d’un radiateur pour sa cuisine ou d’une de mes pompes pour vider son puits, il me laissa le reste ainsi que mes deux bobines d’allumage, ma pompe basse pression et ma boite hydraulique.
Le premier geste du grand type fut de fermer mes vitres, réflexe conditionné par plusieurs années de pratique et d’expérience, pour cela il dut monter à bord. Personne ne sait qu’une voiture pourrie moins vite si elle a les carreaux fermés.
Les garagistes encore moins, puisque celui-ci croyait pouvoir me revendre 5000F glaces ouvertes depuis un certain temps.
Allais-je enfin reprendre la route ?
Et bien non il ferma simplement mes vitres.
La transaction ne se fit pas.
Encore un qui était intéressé mais fauché.
Il repassait de temps en temps pour me voir et vérifier si la vie continuait de m’épargner. Il passait aussi pour discuter avec mon garagiste propriétaire et lui rappeler qu’il était toujours acheteur, sans jamais le forcer. Simplement par ces petites visites il se rappelait à son bon souvenir pour que le garagiste sache qu’il était toujours là, au cas ou.
Heureusement il était tenace mais pas stressant.
Oh ! On est à la campagne faut du respect !



Quand le grand type fit mon acquisition cela faisait déjà cinq années qu’il était passé pour la première fois ! Puis un jour, la retraite aidant, mon garagiste propriétaire accepta la vente, qui se déroula à peu près comme ça.
- Combien tu m’en donnes ?
- de la DS ?
- Bah oui !!
- Je ne sais pas ...500.
- (…….)
- 1000 F
- D’accord pour mille mais vous me livrez la voiture.
- Tope là.
Ce que ne savait pas le grand type, mon actuel propriétaire, c’est que nous devrions attendre une année de plus pour la livraison.
Oh ! On est à la campagne. On a le temps !
Ce fut une livraison qui sort, au dire du grand type un peu des sentiers battus, je vous explique.
Étant non roulante par le fait qu’il me manque mes roues avant, un relais de direction droit et que j’ai un dessous de caisse des plus ventilés, il fallait un chariot élévateur, un plateau et un véhicule tracteur pour tirer tout ça. Comme rien n’était la propriété du garagiste il fallut attendre que ces trois éléments soient réunis. Cela fini par arriver, la livraison pourrait donc se faire.

Bon sang ! J’y pense, je papote, je papote et je ne me suis même pas présentée. Je suis une Citroën DS19 née vers le début du mois d’octobre 1958. Ma première immatriculation date du seize octobre 1958 dans le département de la seine, ma seconde du premier octobre 1965 dans L’Aveyron. Département dans lequel je réside toujours. Ma carte grise actuel est un duplicata qui date du deux octobre 1980. Que de coïncidences avec le mois d’octobre trois dates sur une carte grise toutes du mois d’octobre. C’est un signe ça ?
Quand je suis sortie de l’usine dans ma livrée noire avec mes panneaux de custodes lisses et noirs aussi, je ne me doutais pas que j’attendrais dans un champ pendant aussi longtemps. Surtout après avoir rendu de nombreux services à mon premier propriétaire. Comme je perds un peu la mémoire je ne me rappelle plus si la peinture de l’intérieur de mes portes est d’origine. Est-elle grise ou bleu ciel, faudra demander au grand type il doit bien savoir ça avec tous les bouquins de DS qui traîne chez lui. Au grand désespoir de sa femme d’ailleurs.
Et puis toutes ces particularités qui font que je suis très proche de par ma conception de la DS du salon d’octobre 1955. (Tiens encore le mois d’octobre ): moteur trois paliers - allumage double bobine - deux accumulateurs de freins.

 

Mais revenons-en à notre livraison. Janvier 1999

Pour me sortir de ce champ il fallut dégager le chemin, ce qui ne se fit pas sans mal car les ronces avaient pris leurs aises et une de mes petites sœurs était venue attendre qu’un type veuille bien s’occuper d’elle. Après de longs moments, courts en rapport à ce que j’avais déjà attendu, le chariot élévateur me prit dans ses fourches, me déposa sur un porte char puis voulut monter à son tour mais cela fut impossible par manque de place en longueur. Moi devant lui derrière nous étions trop long pour le porte char. Le manitou descendit me reprit sur ses fourches et tout naturellement remonta sur la remorque avec moi toujours en travers, le léger problème fut le suivant, je n’étais plus parallèle à la route mais perpendiculaire à celle-ci, avec un mètre cinquante de chaque coté du porte char. Imaginez un peu l’attelage. Un tracteur agricole vert tirant un porte char jaune avec dessus un manitou rouge, portant une voiture noire de 5 mètres, en travers sur ses fourches. Dommage pour le panneau de priorité.
Oh ! On est à la campagne on fait ce qu’on veut !
Heureusement il n’y avait que six kilomètres entre mon ancien domicile et le nouveau, si j’avais du en faire plus dans cette position je n’en aurais pas réchappé. Suite à la rencontre avec le poteau j’ai eu comme qui dirait un bon coup dans l’aile.
Et si je vous disais qu’au moment de me descendre du porte char il y eu une fausse manœuvre, le manitou m’écrasa le coté droit. Ce qui n’a pas eu l’air d’inquiéter le grand type, vu mon état il ne doit pas être à ça près. Si je ne suis pas trop dépouillée, je n’en suis pas neuve pour autant. Reste encore avant mon nouveau remisage une haie de lauriers à passer ...Toujours perpendiculaire sur le manitou… Par un portail de trois mètres de large, moi qui en fait presque cinq de long et hop me voilà à trois mètres du sol.
Pour la première fois j’ai eu l’impression d’être une épave. En général quand une voiture n’a plus de roues sur la route (accident, cascade, ferraillage,) cela fini mal, ouf, ce ne sera pas pour cette fois.
Le grand type décide de l’emplacement pour mon stockage puis place sous mon berceau avant deux parpaings. Souvenez vous je n’ai pas de roues à l’avant. L’attente va donc reprendre mais l’avenir me paraît déjà un peu plus rose, je reprendrai la route un jour. Le tout est de savoir quand ?
Le lendemain de mon arrivée le grand type est venu, il a regardé partout passant ses mains sur mes portes à la recherche de creux et de dentelles. Il fut très étonné de constater qu’elles avaient mieux supporté l’épreuve du temps que mon châssis. Ce dernier étant très mais alors très, comment dire ? Très pourri ? Ce doit être cela.
Il tira le cendrier avant de son logement et remonta le mécanisme de la pendule. Miracle ! Le tic tac se fit entendre. Il désolidarisa la pendule du cendrier pour la mettre à l’abri sur sa cheminée, je sais que de temps en temps il l’a remonte, il paraît qu’elle est d’une précision étonnante. Par contre ce qui me gêna c’est qu’il fouilla partout. Il ouvrit la malle, la boite à gants, pour découvrir que le miroir de courtoisie était toujours à sa place ni cassé ni rayé.
Mais que peut il bien chercher ? Un trésor ?
Je crois le deviner il cherche mon histoire. Trouver le petit détail qui fait le tout. Je pense qu’il a compris que mon dernier conducteur était conservateur puisqu’il a trouvé dans ma boite à gants une carte routière (même pas une Michelin) de la région parisienne pas datée mais qui signale que la nationale 7 est pavée. Ma dernière vignette date de mille neuf cent quatre vingt. Pas difficile de comprendre que je n’ai pas roulé depuis.



Mars 1999

Le grand type doit préparer quelque chose de spécial car il est venu à plusieurs reprises. Il a ouvert mon capot à la verticale, pris des mesures. Je l’ai même entendu parler avec un autre homme :
-Au départ je devais le faire ici.
-Et patati et patata .
-C'est bien pour ça que la voiture est là.
-Imaginez capot levé, en position haute.
-Et patati et patata.
-En plus si vous mettez un palan, vous n’en serez que plus a l’aise.
-Et bla bla bla, trois mètre cinquante c’est ce qu’il faut.
-Et plan sur la comète.
Les seules choses que j’ai vraiment comprises sont, capot levé et position haute. Cette fois j’en suis sure je reprendrai la route. Après sans doute une longue restauration, je devrais plutôt parler de longue reconstruction. De ce coté là je ne suis pas trop inquiète car je sais que deux de mes petites sœurs devraient arriver avec de la pièce de rechange. Mais quand ? Apparemment le grand type a des projets de garage pour moi. Il paraît qu’il rêve d’un garage depuis sa première pompe à eau changée sur un parking d’immeuble un jour de pluie, cela fait vingt ans. Comme quoi tout vient à point pour qui sait attendre. Tiens c’est marrant, vingt ans que lui et moi attendons la même chose.



Juin 1999

Ca y est le terrassement du garage est commencé. Je ne comprends pas j’entends le tractopelle qui s’affaire de l’autre coté de la haie pourtant le garage devait se faire là où je suis. Peut être que d’autres impératifs l’ont obligé à changer son plan (j’espère que j’en fais toujours partie). Le terrassement est enfin fini c’est pas trop tôt ! Le garage est arrivé en kit, bizarre ce garage il est fait de poteaux téléphoniques. Il ne lui reste plus qu’a l'assembler. D’abord il faudra qu’il comprenne le mode d’emploi très simple pour le vendeur et pour celui qui a déjà assemblé deux mille cinq cents bâtiments du même genre. Viendra ensuite l’implantation au sol suivi de l’assemblage des fermes et des poteaux, auquel les grands garçons du type ont participés puis l’érection des travées. Je ne vois pas souvent le grand type mais je l’entends dire des choses du genre.
-Attention les enfants c’est dangereux il y a des trous.
-Pourquoi de si grands trous ? Demande le voisin. Tu ne fais pas de fondations?
-Non c’est pour recevoir les poteaux .
-T’as même prévu une fosse.
-Bien sur que oui , autant qu’a y être.
-Margot !! Fais attention !! Tu vas finir par tomber dedans !
-Tu montes des agglos ?
-Non … Lucas !!Non je pose du bardage...... Lucas stop!!
-OUINNN!!!
-Trop tard …..

Parfois je l’entends qui hurle.
-En haut vas y lève stop, stop , STOP !!
-M…… !
-Bon on recommence quand je dis stop tu stoppes.
-Tu crois que c’est facile avec ce vérin qui fuit !!
D’où je suis je le vois sur la charpente il pousse, il tire, il boulonne et petit à petit mon garage prend forme. Je pense que ce garage sera grand et haut. Le grand type aurait il lui aussi la folie des grandeurs tout comme Monsieur Citroën en son temps ?
Deux ou trois fois il s’est retrouvé pendu à quatre mètres du sol.
-Quand je te dis lève ne baisse pas.
-Mais avec le bruit du tracteur je ne t’entend pas et puis cette fuite tu sais bien.
N’empêche qu’elle en a du mérite sa femme parce que se faire engueuler comme ça faut qu’elle l’aime.
Voilà, toute l'ossature est montée reste à sceller les poteaux, monter la toiture, poser le bardage, les menuiseries et les gouttières, faire l’électricité, amener l’eau, poser les portails puis faire le doublage, trois fois rien en somme.

Mars 2000
Je crois que le bâtiment est presque fini puisque le grand type et sa femme font le ménage dans la sorte d’enclos dans lequel je suis depuis mon arrivée. Ils font tomber l’embryon de garage que le grand type avait construit avec du bois puis ils l’ont brûlé avec tout ce qui était en bois, et qui traînait, quelle flambée. Je crois avoir compris pourquoi le garage ne se fera pas à cet endroit. Un enclos de dix mètres par trente abrité du vent par une haie de lauriers, quand tu es en maillot de bain ce n’est pas négligeable.

Ce matin le grand est venu pour démonter mon aile avant gauche et mon capot. Que c’est drôle. Jamais je ne l’avais vu courir. Il n’est pas très courageux, pour quelques guêpes qui tournent autour de lui, bon d’accord le nid caché dans mon aile avait la taille d’un poing fermé. Tiens le revoilà avec une bombe insecticide à la main. Pouah ! Ça puire !!.Les guêpes n’ont pas résisté à un tel traitement et le voilà qui me démonte l’avant je suis moitié nue heureusement pas pour longtemps car déjà j’entends un tracteur, je sens que je vais encore bouger. En deux temps trois mouvements la chaîne passe sous mes bras supérieurs. Me voilà enchaînée à la fourche du tracteur qui commence par me lever puis me tirer pour me faire sortir du terrain et fini par me faire rouler sur la route .Des deux roues arrières. Je vous l’avais bien dit que je roulerais dans pas longtemps ? Bon d’accord ce ne fut pas long, mais ce fut bon.
Quelle surprise de voir, en découvrant ma nouvelle place, une ID 19 de 1960 et une autre DS 19 de 1965.
On ne peut pas dire qu’elles soient dans un bon état. Après avoir fait connaissance avec mes copines d’infortune j’apprend que l’ID 19 est la deuxième voiture du grand et qu’elle est sa première Citroën. Que l’autre est accidentée, j’apprend aussi qu’elles viennent juste d’arriver, qu’elles sont stockées dehors depuis qu’il a quitté la région parisienne c’est à dire il y a sept ans. Qu’elles ont subi la tempête de décembre 1999. Que lors de cette tempête un pin leur était tombé dessus.

Je découvre aussi que le garage est loin d’être fini. Le grand a replacé mes ailes et redressé vite fait mon capot. Je ressemble de nouveau à une DS. De nouveau l’attente reprend, elle risque d’être encore longue.
Nous voilà donc toutes les trois en rang d’oignons.
Je vais essayer d’en apprendre plus sur mes sœurs à ma droite.
L’ID me raconte comment le grand l’a acheté en 1982. Mais je pense que le plus simple est que je lui laisse la parole.

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